mercredi 8 mai 2013

Le sort des prisonniers autrichiens sous l'Empire : le cas de Montluel

Le classement de la sous-série 2 O m'a encore apporté un document à signaler, et pour une fois, je tenterai de faire du plus court possible. Il s'agit d'une correspondance comme il y en a tant, entre le maire de Montluel et le préfet de l'Ain. Cette fois, il s'agit d'une lettre datée du 26 juillet 1809 écrite par le maire d'alors, Ségaud.


Petite note sur Montluel

En 1809, Montluel était l'une des communes les plus importantes du département. Trois ans auparavant, elle comptait plus de 3 250 montluistes. La ville se situe dans la région dite de la Côtière (tout comme Miribel et Meximieux), au sud de la Dombes, à proximité de Lyon.

Des prisonniers autrichiens à Montluel

Les premiers mots de cette lettre ont immédiatement attiré mon attention :

"Du nombre des prisonniers autrichiens que vous m'avez envoyés pour ce canton"

L'explication est simple : nous étions en 1809 et l'Empire de Napoléon Ier était alors à son apogée. Les prisonniers ennemis s'accumulaient. Selon l'historien Jean Tulard, plus de 20 000 prisonniers autrichiens ont été dirigés sur la France uniquement pour l'année 1809.

Pourquoi à Montluel ?

Le maire parlait de prisonniers envoyés pour le canton. En recherchant notamment auprès des articles de mon ancien collègue Jérôme Croyet, j'ai pu découvrir que l'Ain était l'un des lieux de détention des prisonniers de guerre sous l'Empire, avec une vague d'Autrichiens entre 1806 et 1809.

Il est également à noter que Montluel était dotée d'une vaste prison, ce qui expliquerait la présence de ces militaires dans cette commune.

Le principe du camp de travail

La suite de la lettre nous indique surtout que ces prisonniers n'étaient pas uniquement condamnés à être cloîtrés mais, et cela fut une découverte pour moi, ces Autrichiens devaient travailler pour la commune. De là à parler de camp de travail, le terme est peut-être excessif.

Toujours grâce aux travaux de Jérôme Croyet, j'ai appris qu'une demande du préfet de l'Ain en date du 15 juin 1809 autorisait les maires à utiliser les prisonniers autrichiens pour les travaux agricoles et les manufactures de la commune.

Des prisonniers réfractaires

Les prisonniers autrichiens de Montluel ne semblaient pas accepter cette situation et refusaient, pour certains, de travailler. La réaction du maire Ségaud est à noter :

"Quelques uns se sont obstinés à ne pas vouloir travailler dans les communes rurales. Je les ais fait revenir et leur ais vertement fait expliquer dans leur langue que je les traiterais comme on traite les prisonniers françois en Autriche, c'est à dire que je les ferai vivre avec du pain et de l'eau, qu'au cas contraire je leur ferais donner du vin, des alliments et de l'argent. Ils ont tous pris ce dernier parti, et quoiqu'ils ne soient pas très aptes, je viendrais à bout de les utiliser."

Sous-série 2 O (Archives départementales de l'Ain)


Cette main-d'oeuvre gratuite et servile pouvait ainsi être assez mal traitée comme le contraire : ces prisonniers avaient pu refuser leur sort et pouvaient même, s'ils se pliaient aux ordres, avoir un minimum d'argent. Des recherches restent à faire sur ce sujet...

L'établissement d'une promenade : le projet de Ségaud

Pour Ségaud, l'utilisation des Autrichiens devait servir un projet d'urbanisme : l'établissement d'une promenade, ce qui est l'objet principal de la lettre au préfet.

Les prisonniers étaient alors chargés de nettoyer le terrain de la tour Mandot :

"Je les emplois à netoyer une espace de terrein assés considérable où étoit la belle tour de Montluel et à en enlever les décombres. Je fais mettre les matériaux à part pour servir aux berges de la rivière dans la traversée de la ville."

Une fois la place dégagée (les matériaux étant utilisés pour les berges de la Sereine), le projet est donc de mettre en place une promenade :

"Sur la baze de cette place qui est en forme de pain de sucre, et sur le plateau, je fais faire des creux où je pourrais etablir trois ou quatre cents pieds d'arbres suffisamment espacés, et de ce repaire de reptiles, je ferais de très agréables promenades et des plantations qui auront un jour une valeur réelle."

Il se pourrait que cet endroit soit l'actuel quai des Remparts, mais ce n'est qu'une supposition. Quant aux reptiles, le terme est intéressant et nous laisse une imagination débordante. Ségaud nous laisse surement imaginer à des serpents ou autres lézards.

Sous-série 2 O (Archives départementales de l'Ain)


Conclusion

Ce document qui a été mon coup de coeur hier lors de mon classement de la commune de Montluel est intéressant à deux points de vue.

Tout d'abord, il nous apprend le sort des prisonniers autrichiens en France, même si leur durée d'emprisonnement était relativement courte. L'aspect "prisonnier-travailleur" était pour moi une vision plus contemporaine. L'histoire de ces prisonniers pourrait être intéressante à reconstituer.

D'autre part, pour l'histoire locale, la vision des choses du maire Ségaud, qui envisageait une amélioration de l'urbanisme de sa commune par la création de promenades n'est pas rare pour les grandes communes, Bourg ayant eu le même développement à la même époque. Néanmoins, grâce à ces politiques de la ville, les populations ont pu évoluer dans un meilleur urbanisme et, souvent, plus de 200 ans après, les traces de ces travaux subsistent.

1 commentaire:

  1. en septembre 1813, le préfet ouvre une enquête sur le prisonnier de guerre Johan Scherotis, accusé, le 10 par Barmont de Miribel, « de viol sur la fille du plaignant âgée de cinq ans ». Malgré une enquête diligentée auprès de la gendarmerie, le maire de Miribel, bien qu’il fasse arrêter l’autrichien, reconnaît, le 19, « que le malheureux accusé est ici publiquement tenu pour victime d’une calomnie dictée par l’intérêt ».

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