lundi 13 mai 2013

Jean Falconnier, exemple d'un jeune résistant parmi tant d'autres

Établissant depuis plusieurs mois dans le cadre professionnel une base de données importante des demandeurs de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance (CVR, également appelée carte verte), j'ai décidé de vous faire partager quelques trouvailles.
Les attributions des CVR se font selon divers critères : avoir fait des actes de résistance notables et appuyés par des témoignages au moins 60 jours avant le 6 juin 1944, avoir été dans une unité combattante, être mort pour la France au sens juridique du terme (avant septembre 1944) ou encore avoir été déporté dans un camp de représailles tel que celui de Rawa-Ruska, en Ukraine. Une commission décide de cette attribution. Il est ainsi fréquent qu'une demande établie vers 1947 aboutie dix ans plus tard.

Pour le cas que je vais vous présenter, son dossier est communicable aux Archives départementales de l'Ain. J'aurai pu prendre le parti de ne pas divulguer son nom de famille mais quelques sites mentionnent son nom ou publient des documents le concernant en partie. Pour rappel, ce type de dossier est communicable au bout de 50 années après sa clôture sauf données médicales établies par une autorité médicale, ou au bout de 25 années après le décès de l'intéressé.

Un jeune burgien entré dans la Résistance

Jean Georges Falconnier est né à Bourg-en-Bresse le 25 mars 1925 (61 ans jours pour jours avant la naissance de l'auteur de ce blog). La guerre éclate, il est âgé de 14 ans et devient rapidement mécanicien-ajusteur chez Groby. 

A 17 ans, en juin 1942, il décide de s'engager et de se battre pour libérer la France. Il adhère à l'un des plus importants mouvements de résistance : Libération-Sud. Il choisit un pseudo : Mollard. Libération-Sud, mouvement résistant non-communiste, a vu le jour fin 1940 grâce à un petit groupe autour du journaliste Emmanuel d'Astier de la Vigerie (dont Jean Cavaillès, Georges Zérapha, Yvon Morandat, natif de l'Ain, ou encore Lucie et Raymond Aubrac). Un journal, Libération, voit alors le jour et permet au groupe de se faire connaître. D'autres activités vont se développer : la confection de faux documents, l'action militaire et l'action politique.

A Miribel (dans l'Ain, il ne faut pas l'oublier...), en janvier 1943, après les réunions entre Jean Moulin, Henri Frenay, Emmanuel d'Astier de la Vigerie et Jean-Pierre Lévy, Libération-Sud se regroupe avec les autres grands mouvements de la zone Sud, Combat et Franc-Tireur. Ils forment alors les MUR, Mouvements Unis de la Résistance, que dirigent Jean Moulin.

L'arrestation

Mais la répression des mouvements de Résistance est l'un des moteurs de l'armée allemande et de la police de Vichy. Le 23 juin 1943, c'est bien cette dernière qui pénètre chez les Falconnier, chemin des Dîmes. Jean est arrêté et est immédiatement amené à la prison de Bourg.

J'ai retrouvé une "note urgente" rédigée le 25 juin 1943 sur l'excellent site www.memoire-deportation-ain.fr, concernant l'arrestation de Jean. Elle nous apprend les faits de résistance de ce jeune adulte et nous montre la diversité des personnages arrêtés. Je vous en cite un extrait :

"Poursuivant ses investigations dans la recherche des auteurs des attentats par explosifs commis récemment dans le département de l'Ain, la Section Politique de la Brigade Régionale de Police de Sûreté de Lyon vient d'appréhender les sept individus ci-après désignés, tous domiciliés à Bourg (Ain), à savoir :

1) ZURCHER Aimé-Albert, né le 13 septembre 1907 à Meaux (Seine-et-Marne), manoeuvre-maçon, 5 rue Gabriel Vicaire ;
2) FALCONNIER Jean-Georges, né le 28 mars 1923 à Bourg, ajusteur mécanicien, impasse du Point du Jour ;
3) VENET Robert, né le 9 mai 1921 à Bourg, comptable, 9 rue de la Fontaine, quartier des Vennes ;
4) DESMARIS Roger-André, né le 22 juillet 1923 à Saint-Trivier-de-Courtes (Ain), vernisseur, 5 rue Jean Migonnet ;
5) PIGNIER André, né le 19 juillet 1923 à Bourg, charpentier, 27 rue de la Prévôté ;
6) CHIAMBERTTI André, né le 1er mai 1926 à Bourg, garnisseur de véhicules automobiles, 14 rue Edgard Quinet, et
7) CHIAMBERTTI André, né le 13 juillet 1882 à Oullins (Rhône), garnisseur de véhicules automobiles, père du précédent, 14 rue Edgard Quinet.

ZURCHER, FALCONNIER, VENET, DESMARIS, PIGNIER et le fils CHIAMBERTTI ont déclaré appartenir aux Mouvements de Résistance Unis et constituer la Sizaine dont ZURCHER était le chef.

Ils se réunissaient au domicile du fils CHIAMBERTTI, en présence du père de celui-ci.

DESMARIS a reconnu être l'auteur des attentats par explosifs commis à Bourg :
1) dans la nuit du 15 au 16 courant, contre le magasin de M. BERNARD Nicolas, charcutier, 3 rue Lazare Carnot, et
2) dans la nuit du 17 au 18 courant, contre le magasin de M. JEANGRAND, articles sanitaires, rue d'Ebrard.

Par ailleurs, FALCONNIER, VENET et le fils CHIAMBERTTI sont les auteurs de l'attentat commis, par jet de pierres, dans la nuit du 15 au 16 courant, contre le magasin de Mme HERVEY, née DETRAS Joséphine, photographe, rue Pasteur, à Bourg, et de celui commis par explosif dans la nuit du 27 au 28 mai dernier contre la maison d'habitation de M. LOBRICHON, coquetier, à Saint-Etienne-du-Bois (Ain)."

L'internement, la tentative d'évasion et la mutinerie

Quelques jours plus tard, il est transféré à Lyon à la prison Saint-Paul. Il faut attendre le 8 novembre pour qu'il soit jugé. Jean est condamné à 12 ans de travaux forcés et 12 000 francs d'amende pour "menées anti-nationales, distributions de tracts, détention d'explosifs et sabotages".

Il part alors au centre de détention d'Eysses. Situé à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), cette prison rassemblait un très grand nombre de prisonniers politiques condamnés par le régime de Vichy.  Le 3 janvier 1944, 54 prisonniers parviennent à s'évader. Jean semble avoir également tenté l'évasion car le 17 janvier, il est encore une fois condamné, cette fois à 10 mois de prison.

Le 19 février, une mutinerie est déclenchée, séquestrent le directeur de la centrale (proche de Darnand, chef de la Milice et étant originaire de Coligny... dans l'Ain) ainsi qu'une partie du personnel. Les GMR (Groupes Mobiles de Réserve), armée vichyste, parvient à mater la rebellion. Le 23 février, 12 prisonniers sont fusillés. Le 30 mai, 1 121 prisonniers sont remis à une division SS Das Reich et sont déportés à Dachau. Jean en fait partie.

La déportation à Dachau

Le 20 juin 1944, Jean arrive au camp de Dachau depuis un convoi de Compiègne parti deux jours plus tôt. Premier camp de concentration nazi (ouvert en mars 1933), situé en Bavière, il comptabilisera plus de 30 000 morts.

Jean n'y reste qu'un mois, étant placé en quarantaine au bloc 19. Etait-il déjà malade ? Toujours est-il que son état se dégrade...

Le camp d'Allach

Le 16 juillet 1944, il arrive au camp d'éducation par le travail (Arbeitserziehungslager, AEL) d'Allach, annexe de Dachau où il est utilisé pour travailler à l'usine BMW.

En novembre, il est placé pour un mois à l'infirmerie pour des blessures aux pieds. Faisant 65 kg à son arrestation un an plus tôt, il ne fait désormais plus que 43 kg.

Le camp de Stephanskirchen

En décembre, il quitte Allach et est transféré au camp de Stephanskirchen, autre camp annexe de Dachau, comprenant notamment des Polonais, des Russes et des Français.

Il est immédiatement placé à l'infirmerie du camp, ayant plus de 40°C de fièvre, une pleurésie lui étant diagnostiquée. Durant 55 jours d'infirmerie, son seul traitement se trouve dans des cachets d'aspirine et des douches froides chaque matin.

Une fois son rétablissement plus ou moins survenu, il est utilisé pour le travail en usine puis au déblaiement.

Le manque de nourriture, allant jusqu'à ne manger qu'une soupe d'herbe, rabaisse son poids à 35 kg.

En mars 1945, il reçoit cinq colis de la Croix Rouge, il n'en recevra plus.

La libération du camp

Stephanskirchen est évacué à la fin du mois d'avril 1945. Les déportés sont amenés dans la montagne où les pertes ont été nombreuses.

Le 2 mai, les Alliés libèrent le camp. Le 15, Jean est rapatrié en France.

La libération des souffrances

De retour dans la ville qu'il a défendu et qu'il a voulu libérer, Jean est physiquement très faible. Le 1er août 1946, soit un an après son retour, il décède à l'hôpital de Bourg des suites d'une tuberculose générale issue de sa pleurésie non soignée. Jean Falconnier est inhumé au carré militaire du cimetière communal de Bourg-en-Bresse. Il avait 21 ans.

Il obtiendra la carte de CVR ainsi que la médaille de la Résistance à titre posthume.

Son histoire, noire parmi tant d'autres, est riche de par ce témoignage. Ce document figurant dans les dossiers de demandes de CVR est rare, il est le premier aussi détaillé que j'ai pu retrouver, d'autant que son auteur n'a pas eu un si grand recul. Car oui, comme indiqué sur le document, "le récit de la vie dans les 3 camps fut écrit par l'intéressé avant sa mort". Il est également du devoir de l'archiviste de mettre en avant ces mémoires d'outre-tombe.

L'un des documents du dossier de Jean Falconnier (demandes de cartes de combattants volontaires de la Résistance, 1548 W, Archives départementales de l'Ain)


Sources

Sous-série 1548 W

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